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Depuis deux heures le combat faisait rage dans la plaine aux environs de Péronne en France. Des mitrailleuses cachées derrière un massif envoyaient une telle grêle de balles que l¿air en était criblé. Et la mort chevauchait invisible parmi ces hommes qui tombaient terrifiés, éperdus dans cette mêlée.Pendant une bataille de grande envergure où tant d¿éléments sont en jeu, où chacun a une vue bornée de l¿action générale, et ne se rend compte que de ce qui l¿entoure immédiatement, il suffit d¿un tumulte, d¿un arrêt insolite, d¿une bousculade pour jeter la panique dans les rangs. La terreur, les courses affolées des uns, l¿angoisse, l¿effarement des autres se communiquent aux plus braves. Et la mêlée devient un horrible fouillis d¿hommes crispés par l¿effroi de la mort qui plane autour d¿eux dans les balles qui sifflent, les détonations, le feu, les éclats d¿obus et tout ce que l¿enfer de la guerre vomit dans sa rage.
Les Corriveau s¿étaient légué leur terre de père en fils depuis plusieurs générations. Cette belle ferme qui ondulait au loin, défrichée par cette longue lignée de terriens était bien leur ¿uvre. Ils l¿avaient foulée de leurs pieds laborieux, arrosée et fécondée de leur sueur, remuée de leurs bras robustes. Aussi la connaissaient-ils dans tous ses vallons et ses monticules, dans tous ses plis et replis. Ils connaissaient la qualité du sol de tous ses champs. Cette science, apprise par les enfants, qui suivaient leur père, était ensuite transmise à leurs descendants. C¿était la plus vieille terre de la paroisse, que leur ancêtre Louis Corriveau avait en quelque sorte fondée, quand il était venu s¿y établir, il y a bientôt deux siècles. On ne pouvait pas parler des Corriveau sans penser à cette ferme, que tous enviaient. Elle vallonnait sans un plissement, sans une ride, embellie ici d¿un bosquet d¿arbres séculaires qüon avait laissés pour servir d¿abri aux bestiaux, là par un joli ruisseau qui arrosait ses bords fertiles. Et le soir lorsque les douze vaches rentraient en procession lente du riche pâturage, l¿haleine imprégnée de trèfle et de foin où se mêlait la senteur robuste de leur corps tiède, elles embaumaient l¿air.
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