Bag om À la recherche du temps perdu XI
Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d¿avoir vu, au- dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qüil faisait. Les premiers bruits de la rue me l¿avaient appris, selon qüils me parvenaient amortis et déviés par l¿humidité ou vibrants comme des flèches dans l¿aire résonnante et vide d¿un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j¿avais entendu s¿il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l¿azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répandait une tristesse annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil en musique. Ce fut, du reste, surtout de ma chambre que je perçus la vie extérieure pendant cette période. Je sais que Bloch raconta que, quand il venait me voir le soir, il entendait comme le bruit d¿une conversation ; comme ma mère était à Combray et qüil ne trouvait jamais personne dans ma chambre, il conclut que je parlais tout seul. Quand, beaucoup plus tard, il apprit qüAlbertine habitait alors avec moi, comprenant que je l¿avais cachée à tout le monde, il déclara qüil voyait enfin la raison pour laquelle, à cette époque de ma vie, je ne voulais jamais sortir. Il se trompa. Il était d¿ailleurs fort excusable, car la réalité même, si elle est nécessaire, n¿est pas complètement prévisible. Ceux qui apprennent sur la vie d¿un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l¿explication de choses qui précisément n¿ont aucun rapport avec lui.
Vis mere