Bag om Charles de Bernard
" Si la première place, en littérature comme en toutes choses, appartient aux hommes dont le talent ou le génie a rendu tout ce qu'il pouvait rendre, un intérêt, sinon plus vif, au moins plus affectueux et plus tendre, s'attache à ceux qui, par leur fin prématurée, la disposition particulière de leur esprit ou la faute des circonstances, offrent, dans l'ensemble de leur vie et de leurs ouvrages, ce je ne sais quoi d'inachevé qui ne s'accorde, hélas ! que trop bien avec la destinée de l'homme et les tristes conditions de son passage ici-bas. Ceux-là, on les aime à la fois pour ce qu'ils ont fait et pour ce qu'ils auraient pu faire; si l'on regrette qu'ils n'aient pas laissé une trace plus profonde, ce n'est pas à eux qu'on s'en prend; c'est à leur temps, à l'absence de ces convictions vigoureuses qui sont la sève des âmes, à ce sentiment de lassitude préventive qui arrête en chemin certains esprits très fins et très justes, faute d'être assez sûrs de leur force, de leur marche et de leur but. Il nous semble alors que nous sommes tous complices de leurs défaillances, qu'elles établissent entre eux et nous un lien de plus, et que c'est pour avoir partagé nos ennuis et nos mécomptes qu'ils ont ainsi disparu sans avoir dit leur dernier mot. Toutefois, comme il ne manque pas, pendant ce temps, de noms sonores et de vanités bruyantes pour occuper le devant de la scène et absorber l'attention, il n'est pas rare que ces sobres et discrets amans de la renommée vivent et meurent dans une sorte de demi-silence et de demi-jour, dont ils ne paraissent ni s'effrayer, ni se plaindre. On dirait que leur mort ne laisse pas de vide parce que leur existence ne fait pas de bruit..."
Vis mere