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Double Blanc

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Extrait du chapitre I L'ancien Opéra, incendié il y a quinze ans, n'avait ni façade imposante, ni escalier monumental, mais les vieux abonnés le regrettent. On y voyait moins d'étrangers et l'acoustique y était meilleure. On y donnait aussi des bals masqués plus amusants que ceux d'à présent. Le carnaval de 1870 fut joyeux et la nuit du samedi gras de l'année terrible, la salle de la rue Le Peletier regorgeait de monde. On s'écrasait dans les couloirs, on s'étouffait au foyer et les loges étaient bondées. Aux premières, à droite, il y en avait une où on menait grand bruit. Les jeunes qui l'occupaient étaient montés à un formidable diapason de gaieté, et ce nid de viveurs élégants attirait les chercheuses d'aventures, comme la lumière attire les chauves-souris. À tout instant, s'ouvrait et se refermait la porte qui donnait sur le fameux corridor, si magistralement mis en scène par les frères de Goncourt, au premier acte de Henriette Maréchal. C'était un incessant va-et-vient de dominos de toutes les couleurs. Quelques loups de dentelle abritaient peut-être de vraies mondaines en rupture de salons du high-life, mais la plupart cachaient mal des visages de demoiselles trop connues, et ces messieurs n'étaient pas venus au bal pour se faire intriguer, comme on disait jadis. En ce temps-là, il n'y avait déjà plus que les collégiens et les provinciaux pour jouer à ce jeu démodé. Dans la loge numéro 9, on remplaçait l'intrigue par une pantomime expressive, et les femmes qui s'y risquaient savaient à quoi elles s'exposaient. Elles partaient chiffonnées, mais non pas fâchées, et elles ne craignaient pas d'y revenir après une excursion dans les couloirs où on ne les respectait pas davantage. Sous cette loge tapageuse, venaient de danser les clodoches, alors en pleine vogue, et le chef de la bande s'était mis à faire la quête. Dans son bonnet tendu, à bout de bras, il avait récolté une pluie d'or et il s'en allait recommencer plus loin ses exercices, en les dédiant à d'autres amateurs de contorsions. Il n'était resté qu'un individu, costumé en troubadour de pendule, vêtu d'une tunique abricot et coiffé d'une toque à créneaux. Celui-là n'avait pas figuré dans le quadrille privilégié. Il avait bien essayé de s'y mêler, mais les autres l'avaient rudement repoussé. N'est pas clodoche qui veut et les titulaires de l'emploi ne se souciaient pas d'admettre un intrus au partage des bénéfices. Ces drôles ne travaillaient pas pour l'amour de l'art et le bal de l'Opéra leur rapportait gros à cette époque où les riches avaient encore le louis facile. Le troubadour évincé avait l'air si triste et il regardait si humblement les semeurs de pourboires que l'un d'eux le prit en pitié, un grand brun que les grimaces des clodoches n'avaient pas déridé et qu'avaient laissé froid les agaceries des belles de nuit qui, les unes après les autres, s'étaient assises près de lui.

Vis mere
  • Sprog:
  • Fransk
  • ISBN:
  • 9781515344018
  • Indbinding:
  • Paperback
  • Sideantal:
  • 436
  • Udgivet:
  • 4. august 2015
  • Størrelse:
  • 152x229x23 mm.
  • Vægt:
  • 581 g.
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Beskrivelse af Double Blanc

Extrait du chapitre I L'ancien Opéra, incendié il y a quinze ans, n'avait ni façade imposante, ni escalier monumental, mais les vieux abonnés le regrettent. On y voyait moins d'étrangers et l'acoustique y était meilleure. On y donnait aussi des bals masqués plus amusants que ceux d'à présent. Le carnaval de 1870 fut joyeux et la nuit du samedi gras de l'année terrible, la salle de la rue Le Peletier regorgeait de monde. On s'écrasait dans les couloirs, on s'étouffait au foyer et les loges étaient bondées. Aux premières, à droite, il y en avait une où on menait grand bruit. Les jeunes qui l'occupaient étaient montés à un formidable diapason de gaieté, et ce nid de viveurs élégants attirait les chercheuses d'aventures, comme la lumière attire les chauves-souris. À tout instant, s'ouvrait et se refermait la porte qui donnait sur le fameux corridor, si magistralement mis en scène par les frères de Goncourt, au premier acte de Henriette Maréchal. C'était un incessant va-et-vient de dominos de toutes les couleurs. Quelques loups de dentelle abritaient peut-être de vraies mondaines en rupture de salons du high-life, mais la plupart cachaient mal des visages de demoiselles trop connues, et ces messieurs n'étaient pas venus au bal pour se faire intriguer, comme on disait jadis. En ce temps-là, il n'y avait déjà plus que les collégiens et les provinciaux pour jouer à ce jeu démodé. Dans la loge numéro 9, on remplaçait l'intrigue par une pantomime expressive, et les femmes qui s'y risquaient savaient à quoi elles s'exposaient. Elles partaient chiffonnées, mais non pas fâchées, et elles ne craignaient pas d'y revenir après une excursion dans les couloirs où on ne les respectait pas davantage. Sous cette loge tapageuse, venaient de danser les clodoches, alors en pleine vogue, et le chef de la bande s'était mis à faire la quête. Dans son bonnet tendu, à bout de bras, il avait récolté une pluie d'or et il s'en allait recommencer plus loin ses exercices, en les dédiant à d'autres amateurs de contorsions. Il n'était resté qu'un individu, costumé en troubadour de pendule, vêtu d'une tunique abricot et coiffé d'une toque à créneaux. Celui-là n'avait pas figuré dans le quadrille privilégié. Il avait bien essayé de s'y mêler, mais les autres l'avaient rudement repoussé. N'est pas clodoche qui veut et les titulaires de l'emploi ne se souciaient pas d'admettre un intrus au partage des bénéfices. Ces drôles ne travaillaient pas pour l'amour de l'art et le bal de l'Opéra leur rapportait gros à cette époque où les riches avaient encore le louis facile. Le troubadour évincé avait l'air si triste et il regardait si humblement les semeurs de pourboires que l'un d'eux le prit en pitié, un grand brun que les grimaces des clodoches n'avaient pas déridé et qu'avaient laissé froid les agaceries des belles de nuit qui, les unes après les autres, s'étaient assises près de lui.

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