Bag om L'Avènement du grand Frédéric
Depuis que le roi de Prusse et son fils s'étaient séparés et qu'ils avaient pris le parti de se voir le moins souvent possible, ils faisaient quelque effort pour parvenir à s'aimer, mais entre eux s'interposaient un passé de violences et de souffrances et le haineux souvenir de paroles et d'actes irréparables. Aussi bien continuaient-ils d'avoir l'un contre l'autre des griefs graves. Lorsqu'il voyait arriver à Rheinsberg le hussard qui lui apportait l'ordre de se rendre auprès du roi, et qui lui semblait une préfiguration de la mort, le prince se demandait en quelle humeur il trouverait son père, et s'il aurait affaire à une divinité bienfaisante ou à Jupiter foudroyant. Le plus souvent, il avait affaire à tous les deux. Le père se montrait d'abord aimable, affectueux même, et le fils se répandait en effusions d'amour filial, mais, brusquement, le vent sautait. Frédéric, accablé de plaisanteries et humilié par des sarcasmes, baissait la tête, exaspéré de ne pouvoir ni répliquer au maître, ni châtier de leur lâcheté les courtisans dont les visages approuvaient ces vilenies. A quoi bon, disait-il, chercher les raisons de choses qui n'en ont aucune autre qu'un caprice arbitraire mêlé d'une opiniâtreté contradictoire ? Résigné à voir en son père son plus cruel ennemi, il regrettait que sa qualité l'empêchât de quitter le service d'une couronne à laquelle il était destiné...
Vis mere