Bag om Le crime des riches
À vous, mon cher Valdagne qui, dans la Confession de Nicaise, avez si cruellement indiqué l'inique oppression de l'argent, sa tyrannie dissolvante et sa féroce emprise sur la bêtise hypnotisée des foules. À vous l'évocateur de la petite bourgeoise aux appétits de catin, du mari lâche et complaisant aux frasques lucratives de sa femme, et de l'amant moderne, associé de sa maîtresse et bon conseilleur des faiblesses qui le font vivre et du crime qui l'enrichira, je dédie ce Crime des riches qui pourrait être aussi le Crime d'être riche, car les caprices monstrueux, nés de la veulerie et de l'ennui des millions usurpés, entraînent physiquement et physiologiquement toutes les tares, et, si le Crime des riches échappe à la loi, protégé qu'il est par la lâcheté des gouvernements et des masses, la nature, elle, plus vraie que la société, donne l'exemple de l'anarchie en abandonnant les misérables forçats du capital à la folie et à la honte des pires aberrations. Trouvez ici toute ma joie d'avoir pu les constater et tout mon orgueil de vous les offrir en hommage d'admiration et d'amitié. Jean Lorrain. La Pergola. Antibes. La duchesse d'Ebernstein-Asmidoff serait heureuse de recevoir M. Henri de Bergues à la Pergola. Elle lui serait même reconnaissante de vouloir bien ne pas trop différer sa visite. La duchesse sera chez elle le lundi, le mercredi et le vendredi de la semaine prochaine, de trois à sept. M. Henri de Bergues sera le bien venu. Inutile que M. Henri de Bergues prévienne la duchesse de sa visite. On ose absolument compter sur lui. Le billet laissait le jeune homme rêveur. La Pergola, la duchesse d'Ebernstein-Asmidoff. De Bergues ne connaissait que trop de réputation la châtelaine de la Pergola. Ses déportements étaient depuis dix ans la fable et le scandale de la Riviera; le domaine d'Antibes avait lui-même sa légende. On y montrait la place où le comte Zicco, un des amants de la duchesse, s'était tué dans une chute de cheval, et cela dans une des allées du parc. La monture emballée avait buté contre un cactus géant, et l'homme désarçonné, pris entre sa bête et les dards onglés et coupants de la plante, était mort. La duchesse avait fait enterrer son amant à la place même du désastre. En Riviera on ne refuse rien aux millions et surtout aux millions des personnalités princières, et la duchesse était par sa mère une Scatelberg-Emerfield. De branche allemande, elle avait épousé à seize ans le duc d'Ebernstein-Asmidoff qu'on disait impuissant. Les Asmidoff n'avaient pas d'enfants. A la cour de Finlande on avait tout d'abord excusé les écarts de la jeune femme, mais le scandale de ses caprices avait pris un tel retentissement, que le grand-duc régnant avait dû prier le jeune ménage d'aller donner ailleurs le spectacle de ses fantaisies. La Riviera en avait hérité. Depuis dix ans cette Allemande, qui devait avoir maintenant dépassé la quarantaine, trouvait moyen d'étonner la Côte d'Azur; et la côte est pourtant assez blasée sur les excentricités de ses hôtes. (...) Cette Allemande était une passionnée, mais elle avait la main malheureuse et ses amants avaient des fins assez tragiques. Ses amants... c'est-à-dire on en citait deux, le Hongrois, le comte Zicco, mort si malencontreusement à la Pergola dans une promenade matinale, et le beau chevalier Contaldini, tombé dans une crevasse pendant un séjour du duc et de la duchesse à Saint-Moritz. Le nouvel amant accompagnait, cet été-là, le couple dans les Alpes. La duchesse était, bien entendu, étrangère à tous ces trépas, et jamais un soupçon ne l'avait effleurée, mais elle en gardait une auréole sinistre. Dans le pays cette exsangue et maigre duchesse Wilhena passait pour avoir le mauvais oeil. On lui prêtait d'autres aventures. Extrait de La Riviera. Édition annotée et illustrée (en noir et blanc pour la version imprimée) également dispon
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