Bag om Les Vingt et un Jours d'un neurasthénique
Avec une férocité jubilatoire, Mirbeau fait défiler sous nos yeux toute une série d'imbéciles, de maniaques et de forbans. Les uns sont fictifs et affublés de noms inconnus à l'état-civil, tels le stupide docteur Triceps, qui incarne les dangers de cette caricature de la science qu'est le scientisme, ou le politicien véreux au nom wagnérien, Parsifal, ou encore M. Tarte, qui se débarrasse avec délectation d'un curiste qui le gêne et qu'il précipite dans un ravin sans autre forme de procès. Mais les moindres de ces crapules distinguées ne sont pas les membres bien réels du Gotha de la Troisième République: ils appartiennent au monde du barreau (maître Henry du Buit), de la politique (Georges Leygues et Émile Ollivier), ou de l'armée (par exemple, le général Archinard, pour qui le seul moyen de civiliser les gens, c'est de les tuer ). Tous sont désignés par leur nom pour l'édification des lecteurs, invités, par une série d'interviews imaginaires, à arracher le masque de respectabilité des puissants de ce monde. Car l'absurdité des situations évoquées dans ces récits, où le grotesque le dispute à l'horrible, est le produit d'une société aberrante, voire moribonde, où tout va à rebours de la justice et du bon sens, comme l'illustre, entre beaucoup d'autres, la mésaventure d'un pauvre vagabond, Jean Guenille, jeté en prison alors qu'il vient de rapporter au commissariat de police un portefeuille ramassé sur le trottoir et bourré de gros billets. Cette société absurde et inique, le justicier Mirbeau la voue à l'exécration en démasquant ses ridicules et ses tares: la misère, la prostitution, le meurtre, le bureaucratisme homicide, la corruption, le conformisme mortifère...
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