Bag om Souvenirs
Là seulement je commençai à respirer, j'étais hors de France, de cette France qui pourtant était ma patrie, et que je me reprochais de quitter avec joie. L'aspect des monts parvint à me distraire de toutes mes pensées, je n'avais jamais vu de hautes montagnes; celles de la Savoie me parurent toucher au ciel avec lequel un épais brouillard les confondait. Mon premier sentiment fut celui de la peur, mais je m'accoutumai insensiblement à ce spectacle, et je finis par l'admirer. Le paysage du chemin des Échelles me ravit; je crus voir la Galerie des Titans, et je l'ai toujours appelé ainsi depuis. Voulant jouir plus complètement de toutes ces beautés, je descendis de voiture; mais à moitié du chemin à peu près je fus saisie d'une grande terreur; car on exploitait au moyen de la poudre une partie des rochers; il en résultait l'effet d'un milliers de coups de canon, et ce bruit, se répétant de roche en roche, était infernal. Je montai le mont Cénis, comme plusieurs étrangers le montaient aussi; un postillon s'approcha de moi: - Madame devrait prendre un mulet, me dit-il, car monter à pied, c'est trop fatigant pour une dame comme elle. Je lui répondis que j'étais une ouvrière, bien accoutumée à marcher. - Ah ! reprit-il en riant, madame n'est pas une ouvrière, on sait qui elle est. - Eh bien, qui suis-je donc ? demandai-je. - Vous êtes madame Lebrun, qui peint dans la perfection, et nous sommes tous très contens de vous savoir loin des méchans. Je n'ai jamais pu deviner comment cet homme avait pu savoir mon nom; mais cela m'a prouvé combien les jacobins avaient d'émissaires. Heureusement je ne les craignais plus; j'étais hors de leur exécrable puissance. A défaut de patrie, j'allais habiter des lieux où fleurissaient les arts, où régnait l'urbanité; j'allais visiter Rome, Naples, Berlin, Vienne, Pétersbourg, et surtout, ce que j'ignorais alors, chère amie, surtout, j'allais vous trouver, vous connaître et vous aimer.
Vis mere