Bag om Un Client de l'Ancien Régime
Dans tous les temps, dans toute société organisée, on a vu surgir, se succéder une race d'hommes nés satellites, destinés par leur fortune, leur naissance ou leur caractère, à graviter autour des grands et des riches, propres à suivre, à obéir, comme d'autres sont aptes à précéder, à commander; insinuants et habiles dans le détail des choses, fidèles au patron que le hasard leur a donné ou qu'ils ont choisi comme un paratonnerre contre les surprises de la vie, parfois conseillers excellents et inspirateurs des grandes résolutions, mais contents de demeurer dans la pénombre et désireux de ne pas remplir les rôles éclatants sur la scène du monde. Ils n'ont pas la foi en eux-mêmes, ils n'ont pas la volonté, faculté souveraine qui remplace et souvent annihile toutes les autres; mais certain penchant vers l'épicuréisme, quelque nonchalance dans l'âme, l'instinct du bonheur, qu'ils savent ne pas devoir rencontrer dans le fracas de la lutte, un scepticisme doux, le scepticisme de Cinéas essayant de dissuader Pyrrhus de conquérir l'univers, tout les détourne des ambitions fortes, les ramène vers un horizon restreint, du moins tranquille. Ne sont-ils pas nés confidents, familiers, amuseurs, comme leurs protecteurs, vers lesquels les attire une sorte d'aimant, auprès desquels ils remplissent aussi l'office de ces papiers de soie dans des caisses d'objets précieux et fragiles, sont nés ministres, princes, dompteurs de peuples ? Et, avec quelques variantes, quelques transformations, ne gardent-ils pas les mêmes traits distinctifs à Athènes, à Rome, dam la France féodale, dans celle de Louis XIV et du XVIIIe siècle ? Qu'il y ait en eux un coin de courtisan, je le veux; mais le courtisan est le genre dont le client est une espèce, espèce à part, plus modeste à la fois et plus noble, moins élevée par le rang, supérieure par le coeur, par l'intimité, l'affection...
Vis mere