Bag om Nouveaux contes à Ninon
Il y a juste dix ans, ma chère âme, que je t¿ai conté mes
premiers contes. Quels beaux amoureux nous étions alors !
J¿arrivais de cette terre de Provence, où j¿ai grandi si libre,
si confiant, si plein de tous les espoirs de la vie. J¿étais à
toi, à toi seule, à ta tendresse, à ton rêve.
Te souviens-tu, Ninon ? Le souvenir est aujourd¿hui
l¿unique joie où mon c¿ur se repose. Jusqüà vingt ans,
nous avons battu ensemble les sentiers. J¿entends tes petits
pieds sur la terre dure ; j¿aperçois des bouts de ta jupe
blanche au ras des herbes folles ; je sens ton haleine parmi
de lointains souffles de sauge, qui m¿arrivent comme des
bouffées de jeunesse. Et les heures charmantes se
précisent : c¿était un matin, sur la berge, au bord de l¿eau
réveillée à peine, toute pure, toute rosé des premières
rougeurs du ciel ; c¿était une après-midi, dans les arbres,
dans un trou de feuilles, avec la campagne écrasée,
dormant autour de nous, sans un frisson ; c¿était un soir, au
milieu d¿un pré, lentement noyé sous le flot bleuâtre du
crépuscule, qui coulait des coteaux ; c¿était une nuit, marchant le long d¿une route interminable, allant tous deux
à l¿inconnu, insoucieux des étoiles elles-mêmes, au seul
bonheur de laisser la ville, de nous perdre loin, très loin, au
fond de l¿ombre discrète. Te souviens-tu, Ninon ?
Vis mere